L’Accord des créanciers du Tchad

Publié le : 19.04.23

Par: Dr Ryadh M. Alkhareif,  Emmanuel Moulin,

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L’accord des créanciers du Tchad, une avancée pour les pays à faible revenu

Le traitement de la dette d’un pays au titre du Cadre commun ne doit pas déclencher automatiquement l’abaissement de sa notation de crédit

Les auteurs:

Ensemble, ils ont co-présidé le comité des créanciers public du Tchad.

Dr Ryadh Alkhareif

Dr Ryadh M. Alkhareif

Vice-Ministre saoudien des Finances pour les Affaires internationales.

Emmanuel Moulin 2

Emmanuel Moulin

Président du Club de Paris et Directeur général du Trésor français.

44 des 73 pays les plus pauvres ont une probabilité élevée de se retrouver en situation de surendettement ou le sont déjà, ce qui compromet gravement leur capacité à protéger leur population et à développer leur économie de manière durable.

Le 9 janvier 2023, un accord a été conclu entre la République du Tchad et ses créanciers officiels au titre du Cadre commun, représentant une avancée dans le domaine du traitement de la dette des pays à faible revenu. Les leçons tirées de cet accord peuvent aider à mieux soutenir les autres pays sollicitant un allègement de leur dette au titre du Cadre commun.

Une étape importante pour les traitements de dette multilatéraux

En janvier 2021, le Tchad a été le premier pays à demander un traitement de sa dette au titre du Cadre commun adopté par le G20 et le Club de Paris sous la présidence du G20 de l’Arabie saoudite.

L’avancée notable, sous la présidence conjointe de la France et de l’Arabie Saoudite (qui à l’époque assurait la présidence du G20), est que la Chine, l’Inde et les membres du Club de Paris ont formé un comité de créanciers pour remédier aux vulnérabilités de la dette du Tchad. En janvier dernier, le comité est parvenu à un accord, permettant la poursuite du programme FMI. L’engagement fort et sans précédent de toutes les parties prenantes a été déterminant pour parvenir à ce résultat.

Dans cet accord, les créanciers publics se sont engagés à préserver la viabilité de la dette du Tchad, en cas de baisse des prix du pétrole, par exemple, ou de tout événement générant un besoin de financement. Ils n’ont plus besoin de restructurer la dette à court terme, étant donné que l’économie tchadienne bénéficie d’importantes recettes pétrolières dans le contexte actuel.

Impliquer les créanciers privés

Une autre avancée majeure est que le plus grand créancier commercial du pays ait été incité à rééchelonner sa dette immédiatement. C’était un besoin urgent, car ce créancier bénéficiait de remboursements accélérés dès que les prix du pétrole augmentaient. Son effort pour préserver la viabilité de la dette du Tchad, parallèlement à l’engagement des créanciers publics, était nécessaire pour que le FMI continue à soutenir le pays.

C’était un objectif clé du Cadre commun dès sa création : veiller à ce que tous les bailleurs, y compris commerciaux, fournissent des efforts comparables au bénéfice du pays endetté. Cet objectif a été atteint avec succès, grâce à un dialogue régulier et direct tout au long du processus.

Un Cadre prenant en compte la diversité des créanciers

Au cours de ses soixante années d’existence, le Club de Paris a acquis une expérience de première main en matière de restructuration coordonnée de la dette ; et le périmètre de ce groupe informel de créanciers continue de s’élargir : le Brésil est devenu membre en 2016 et l’Afrique du Sud est devenue membre prospectif en 2022. Plus d’un tiers des traitements de dette du Club de Paris ont été signés par des créanciers qui ne sont pas membres du Club de Paris.

Parallèlement, la part des créanciers privés dans la dette extérieure des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, ainsi que celle des créanciers qui ne sont pas membres du Club de Paris, ont augmenté de 145 % et de 65 % respectivement entre 1995 et 2021.

L’exploration de nouvelles formes de coordination est donc devenue incontournable. C'est précisément la raison pour laquelle le Cadre commun pour les pays à faible revenu a été adopté.

Quelles leçons en tirer pour les futurs traitements de dette au titre du Cadre commun ? 

Après le Tchad, trois autres pays ont sollicité un traitement de dette au titre du Cadre commun, le dernier étant le Ghana en décembre dernier, après l’Éthiopie et la Zambie. D’autres pays ayant besoin d’un allègement de leur dette pourraient demander l’aide du Cadre commun à l’avenir.

Dans leur intérêt, que pourrions-nous améliorer ?

  • Tout d’abord, accélérer le rythme. Nous devrions réduire le délai courant entre la demande du pays endetté et le moment où les parties prenantes s’accordent sur les termes du traitement de dette. Des progrès sont en cours : tirant les leçons de l’expérience du Tchad, il a fallu deux fois moins de temps aux créanciers publics pour octroyer des assurances de financement pour la Zambie après la formation d'un comité.
  • Deuxièmement, garantir plus de clarté. Les pays emprunteurs se posent de nombreuses questions sur le processus du Cadre commun. Nous espérons qu’avec l’expérience du Tchad et des autres cas-pays en cours de traitement, un consensus pourra être atteint sur l’élaboration d’un « manuel de l’utilisateur ».
  • Troisièmement, améliorer la communication. Le traitement de la dette d’un pays au titre du Cadre commun ne doit pas déclencher automatiquement l’abaissement de sa notation de crédit : la nécessité ou non d’un traitement de la dette est indépendante de la demande du pays et le traitement de dette lui-même est conçu dans le cadre d’une approche au cas par cas. Cela souligne la nécessité d’un canal de communication ouvert entre toutes les parties prenantes, y compris avec les agences de notation.

La coordination multilatérale est le seul moyen de traiter les vulnérabilités de la dette

Le Cadre commun est le seul moyen efficace et crédible de résoudre les vulnérabilités de la dette des pays à faible revenu. Il pourrait également inspirer de nouveaux modes de coordination au profit des pays à revenu intermédiaire endettés qui ne sont pas éligibles au Cadre commun. En effet, leurs principaux créanciers font partie à la fois du G20 et du Club de Paris. Une telle coordination serait un gage de rapidité et permettrait d’éviter les impasses, lesquelles augmentent la probabilité pour les pays créanciers comme pour les pays emprunteurs d’accuser des pertes. Elle garantirait également que certains prêteurs ne bénéficient pas de conditions plus favorables que d'autres.

Nous devons veiller à la mise en œuvre rapide et solide du Cadre commun, d’abord pour la Zambie, le Ghana et l’Éthiopie, puis pour les autres pays vulnérables. Nous devons identifier collectivement les moyens d’intensifier les travaux menés au titre du Cadre commun, dans l’intérêt de tous. Il doit s'agir d’une priorité absolue pour tous les créanciers publics, afin de protéger les bénéfices durement acquis des pays emprunteurs en matière de développement et de les aider à construire un avenir meilleur.

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