LA RÉallocation des DTS VERS LES BMD N'EST PAS TOUJOURS ET PARTOUT UN FINANCEMENT MONÉTAIRE.
Par Stephen Paduano, London School of Economics
Les pays de la zone euro sont financièrement et politiquement au cœur du programme de réorientation des DTS. Ensemble, ils détiennent 200 milliards de dollars en DTS (environ 20 % de l'ensemble des DTS), et les pays de la zone euro membres du G20 en détiennent 120 milliards (un peu moins de 20 % des DTS du G20). Ces pays sont également les membres les plus ambitieux dans le système des DTS. Ainsi, la France a été la première à prôner le réacheminement des DTS et l'Espagne a contribué au fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité en premier. Cependant, la capacité de la zone euro à mener et à participer à la réorientation des DTS a été compliquée par la BCE.
La Présidente Lagarde a déclaré que le réacheminement des DTS vers les BMD pourrait ne pas préserver le caractère d'actif de réserve des DTS et pourrait violer l'interdiction du financement monétaire. S'appuyant sur Paduano and Maret (2023), cet article démontre que certaines formes de réaffectation des DTS peuvent clairement satisfaire les préoccupations de la BCE - et, plus important encore, que la réaffectation des actifs de réserve aux banques multilatérales de développement se produit déjà. L'article présente quatre arguments en faveur de cette thèse :
- Les DTS relèvent de l"Accord sur les actifs financiers nets" (ANFA holdings) des Banques Centrales Nationales (BCN) du système euro, ce qui confère aux BCN une plus grande souveraineté quant à l'utilisation de leurs DTS. Cela signifie que la compétence de la Banque Centrale Européenne (BCE) concernant les DTS se limite à l'application de l'interdiction de la finance monétaire - tant que cette interdiction n'est pas violée, les BCN du système euro peuvent utiliser les DTS à leur discrétion.
- L'interdiction de la finance monétaire n'est pas violée par l'achat d'obligations en DTS, compte tenu des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne et de la BCE qui sous-tendent le programme d'achat de titres du secteur public de la BCE (dans le cadre des programmes d'achat d'actifs). Le programme d'achat de titres du secteur public incluait explicitement l'achat d'obligations supranationales, y compris celles des banques multilatérales de développement, et les BCN du système euro détiennent maintenant 288 milliards d'euros d'obligations supranationales. Par extension, la Cour de justice de l'Union européenne et la BCE ont déjà statué de manière affirmative sur l'achat d'une obligation en DTS.
- L'accès de la Banque européenne d'investissement (BEI) au mécanisme de "repurchase agreements" (repo) de la BCE et ses emprunts de 13 milliards d'euros auprès des BCN du système euro démontrent également que la BCE et les BCN du système euro réaffectent déjà des actifs de réserve aux BMD. Cet arrangement de financement peut être modifié en ce qui concerne la dénomination, l'échéance et la structure de garantie sans complication juridique, servant ainsi de précédent pour les futures formes de réaffectation des DTS.
- La réglementation principale qui préoccupe la BCE - EC3603/93, Article 7 - ne limite pas la réaffectation des actifs de réserve au Fonds monétaire international (FMI). Au contraire, elle met en évidence le FMI comme une entité à laquelle des obligations publiques peuvent être transférées. Cela est démontré à la fois par référence aux formes existantes de réaffectation des actifs de réserve à des entités autres que le FMI (le programme d'achat de titres du secteur public et l'accès de la BEI au REPOde la BCE) et par l'évaluation des décisions passées de la BCE concernant les arrangements de réaffectation des DTS. Les décisions passées montrent clairement que la BCE ne statue pas en fonction de l'entité qui reçoit le financement, mais de savoir si ce financement préserve le caractère d'actif de réserve des DTS et respecte l'interdiction de la finance monétaire.